EPIDEMIOLOGIE DE LA MALADIE RENALE CHRONIQUE A KINSHASA (REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO)


Promoteur: Pr Dr Jean Marie Krzesinski Division de Néphrologie/ Transplantation, Université de Liège, Liège Sart Tilman B35, Belgique/ B.P. 4000 LIEGE 1. Co-promoteurs: Professeur Dr Nazaire M. Nseka Service de Néphrologie, Université de Kinshasa, Kinshasa B.P. 123 Kin XI/ République Démocratique du Congo (RDC) Professeur Dr Eric P. Cohen Nephrology Division, Medical College of Wisconsin, Milwaukee, 9200 W Wisconsin Ave, Milwaukee, WI, 53226, USA


RESUME


Contexte


La maladie rénale chronique (MRC) constitue un problème mondial majeur de Santé publique. Son ampleur réelle en Afrique demeure inconnue. Malgré, les progrès réalisés dans l’identification et la prévention de la MRC et le traitement de la phase terminale de la maladie, ces domaines restent un grand défi en Afrique Subsaharienne à cause du manque cruel des ressources nécessaires.


Objectif


Ce travail a pour objectif de cerner l’épidémiologie de la MRC à Kinshasa en vue d’élaborer des stratégies de dépistage précoce et de prévention adaptées. Le but ultime est de contribuer à la réduction de la morbidité et la mortalité rénales mais aussi cardiovasculaires.


Méthodes :


Le présent travail est une revue synthétique de 4 études menées à Kinshasa :
Une étude documentaire des 412 cas réalisée aux Cliniques Universitaires de Kinshasa (CUK), durant la période allant de Janvier 2001 à Décembre 2004 pour identifier le profil épidémiologique et clinique des patients atteints de la MRC. Les résultats de cette étude ont motivé le besoin d’évaluer l’ampleur de la maladie dans la population et dans les structures de santé existantes. Il en a résulté trois études. Une étude épidémiologique de type transversal effectuée à partir de 503 ménages sélectionnés de manière aléatoire selon un plan de sondage à plusieurs degrés dans 10 des 35 Zones de santé composant Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo (RDC). Une seconde étude, aussi de type transversal, réalisée à partir de 527 patients à risque de MRC, fréquentant neuf Centres de santé (CS) de niveau primaire et quatre hôpitaux de référence de la ville de Kinshasa.
Une campagne de dépistage de la protéinurie et des facteurs de risque de la MRC chez 3.018 sujets.


Résultats :


L’analyse des données enregistrées en milieu hospitalier a montré :
Une augmentation annuelle progressive et inquiétante des proportions (60,6%, 65,9%, 67,4% et 70,5%) de la MRC admises aux CUK quasi exclusivement au stade terminal de la maladie nécessitant une prise en charge rapide par la dialyse péritonéale. Malheureusement, 11% seulement pouvaient accéder à ce traitement onéreux. La majorité des malades à prédominance masculine (sexe ratio 2,2/1) décèdent prématurément à un âge moyen (45,8±14,5 ans), à un moment de leur vie où ils sont encore économiquement très productifs. Les causes probables de la MRC chez ces patients sont la glomérulonéphrite chronique (37%), l’hypertension artérielle (27%) et le diabète sucré (26%). Les études transversales dans la population générale et les institutions de santé traditionnelles de la ville de Kinshasa ont mis en évidence les caractéristiques épidémiologiques suivantes:

La prévalence globale (tous les stades confondus) de la MRC est de 12% dans la population générale, mais 3% seulement sont conscients de leur état de rein. Celle de l’insuffisance rénale chronique (IRC) estimée par le débit de filtration glomérulaire (DFGe) < 60 ml/min/1,73 m² est de 8%. Cette MRC touche particulièrement les adultes (52±15 ans). Les facteurs de risque potentiels de la MRC, liés à des maladies non transmissibles (MNT) sont en progression comparativement aux études antérieures. Ces facteurs sont l’hypertension (28%), le diabète sucré (12%) et l’obésité (15%).

Dans les Centres de santé de Kinshasa, la prévalence globale de la MRC méconnue parmi les sujets à risque est le triple de celle rapportée dans la population générale de la même ville. Parmi cette population malade, les proportions de la MRC atteignent 44% chez les hypertendus, 39% chez les diabétiques ; 16% chez les obèses et 12% chez les sujets infectés par le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH). 82% des diabétiques avaient une glycémie à jeun non contrôlée (> 126 mg/dl) et 78% d’hypertendus n’avaient pas une pression artérielle sous la cible la moins stricte, c’est à dire contrôlée à moins de 140/90 mmHg.
Les déterminants identifiés de l’IRC ont été l’hypertension (OR ajusté 3,3), le diabète sucré (OR 2) et la protéinurie (OR 2,9). Les principaux déterminants de DFGe < 60 ml/min/1,73 m² chez les diabétiques étaient l’âge et la
durée du diabète sucré. Les résultats de la campagne de dépistage de la protéinurie et des facteurs de risque de la MRC ont révélé ce qui suit :

La prévalence de la protéinurie a été de 17%. Les autres facteurs de risque de la MRC identifiés chez les sujets en bonne santé apparente ont été: l’hypertension (37%), le diabète sucré (9%), l’obésité (11%) et le syndrome métabolique (5%).
Pour identifier un cas de protéinurie, il est nécessaire de dépister 4 diabétiques, 5 hypertendus, 4 sujets avec syndrome métabolique, 5 sujets âgés de plus de 50 ans et 9 personnes ne présentant aucune des conditions susmentionnées.
Les déterminants majeurs de la protéinurie étaient l’âge > 50 ans (OR ajusté 1,4), le diabète sucré (OR 1,3), le surpoids (OR 1,2) et le niveau socio-économique bas (OR 1,4).


Conclusion :


Ces études établissent pour la toute première fois dans une population africaine la forte prévalence de la MRC et ses facteurs de risque notamment l’hypertension, le diabète sucré, l’obésité, l’âge > 50 ans et l’infection à VIH. La maladie affecte l’adulte encore jeune comparée aux Etats-Unis où elle prédomine à la vieillesse. Nos études ont montré aussi à la fois la forte prévalence de la protéinurie chez les sujets sans facteurs de risque traditionnels précités, le déficit du dépistage précoce de la MRC et de prise en charge des facteurs de risque dans le système de santé traditionnel favorisant la référence tardive et/ou les décès prématurés, ainsi que les limites malheureuses par manque de moyens de la prise en charge de la maladie au stade tardif. Ces études plaident pour la nécessité d’un renforcement de la capacité du personnel soignant dans le domaine de détection précoce et de prise en charge des MNT dont la MRC. Elles montrent également qu’un dépistage annuel de masse de la population de la protéinurie et des facteurs de risque de la MRC est faisable et pourra, nous l’espérons, constituer la base d’une élaboration d’une politique nationale de prévention.

 Mots-clé : diabète sucré, équation (Cockcroft & Gault, MDRD), hypertension artérielle, maladierénale chronique, prévalence, protéinurie