Etude du cholestérol et lipoprotéines plasmatiques chez les congolais diabétiques à Kin, 1999
Promoteurs : Prof Dr ERIK MULS, DITU MPANDAMADI
Résumé:
Ce travail est une étude transversale des facteurs de risque ou des mécanismes qui joueraient,en milieu congolais, pour expliquer l’émergence d’une macro angiopathie chez les diabétiques,pendant que les dosages plasmatiques de cholestérol total ne montrent pas d’hypercholestérolémie.
Les facteurs de risque étudiés sont à la fois classiques (âge, durée du diabète, contrôle glycémique, alimentation, pression artérielle, profil lipidique) et nouveaux (adiposité viscéroabdominale, la lipoprotéine (a), les iso formes de l’apoprotéine E, la micro albuminurie, les vitamines antioxydants A et E). le collectif de notre étude comportant deux groupes de diabétiques de sexe masculin (avec ou sans athérosclérose : diagnostic ultrasonographique de l’aorte abdominale) et un groupe témoin sain d’âge comparable, permet de dégager les constatations suivantes :
1. La transition nutritionnelle qui résulte d’une exposition à un environnement occidentalisé n’a pas encore eu lieu à Kinshasa. En effet, l’alimentation reste pauvre en graisses et riche en hydrate de carbone (HC 58%, lipides 25%, Protéines 17%).
2. Malgré leur BMI normal, les diabétiques, et surtout les diabétiques avec athérosclérose (BMI 24 +4kgm), ont une tendance prononcée à la répartition graisseuse de type viscéro-abdominal (WHR 0,91+0,05). Ceci est associé à une diminution significative (P=0,05) du HDL cholestérol et une augmentation significative (p=0,05) des triglycérides ; compatibles avec le syndrome d’insulinorésistance.
3. La forte prédominance de l’allète apo E2 dans la population congolaise (fréquence absolue 32,1%, fréquence relative 0,482) laisse prévoir que si l’incidence de l’obésité augmentait, les Congolais seraient particulièrement à risque pour l’hypertriglycéridémie et, donc, pour l’athérosclérose et l’accident vasculaire cérébral.
4. L’importance du diabète sucré de type 2 (87% de la population malade), bien que l’obésité ne soit pas le trait classique du tableau de la pathologie (BMI : 24 kgm), laisse prévoir qu’un traitement intempestif des patients à l’insuline exogène risque de majorer les risques d’athérosclérose.
5. La concentration plasmatique normale des vitamines anti oxydantes A et E dans la population des malades diabétiques n’a pas empêche la survenue de l’athérosclérose.Ceci rend opportune une supplémentation vitaminique A et E.
6. L’association significative entre le taux plasmatique de Lp (a) et la présence d’athérosclérose, ressort comme une évidence de ce travail ; la littérature classique ayant jusqu’à présent tendance à n’attribuer qu’un risque macro vasculaire réduit à cette lipoprotéine dans les populations d’Afrique Centrale.
En conclusion : l’importance de l’allèle E2, de l’Apo E et la Lp (a) sont deux facteurs génétiques déterminants dans le mécanisme de production de la lésion d’athérosclérose sur un endothélium endommagé (effets prolifératifs de la glycosylation des protéines, des facteurs de croissance, de l’hyperinsulinisme ; oxydation des lipoprotéines, forces de cisaillement générées par l’hypertension artérielle).
Le modèle conceptuel de l’ATHEROSCLEROSE chez le diabétique congolais pourrait donc se présenter comme indiqué ci-dessous. Il comprendrait des facteurs endogènes et exogènes ;
A) Facteurs de prédisposition génétique :
1) Facteurs de prédisposition génétique :
a)Génotype d’épargne métabolisme .Ce génotype est acquis par sélection naturelle naturelle .Le mode de subsistance de nos communautés reposant sur la chasse, la cueillette ou les cultures vivrières soumises à des intempéries ; sélectionne les individus ayant ce génotype.
Les changements alimentaires (augmentation de la concentration des grasses,diminution de la consommation des sucres complexes et des fibres,augmentation de la consommation des sucres raffinés à la diminution de
l’activité physique (vie sédentaire), prédisposent à l’adiposité de type viscéroabdominal.
L’adiposité viscéro-abdominal va, ensemble avec une augmentation de LDL ‘’small dense’’ et l’hypertriglycéridémie (diminution de l’activité de la LPL).
b) Génotype codant pour la Lp(a). le complexe macromoléculaire que constitue la Lp(a) est à la fois hautement athérogène (surtout en présence d’une hypercholestérolémie associée) et thrombogène. L’apoprotéine B100 de la Lp (a) fait cette macromolécule une lipoprotéine « LDL like », car reconnue par le récepteur membranaire de haute affinité de LDL L’analogie structurelle entre l’Apo (a) de la Lp (a) et le plasminogène (précurseur de l’enzyme plasmine) entraîne une compétition entre l’Apo (a) et le plasminogène au niveau des récepteurs endothéliaux. L’inhibition de la fibrinolyse produit un état pro coagulant favorable à l’agrégation plaquettaire
(TXA2). La libération de PDGF stimule la prolifération myointimale et macrophagique, la migration des lipoprotéines modifiées et la formation des cellules « spumeuses » après action du système éboueur des macrophages.
c) Génotype codant pour l’Apo E, l’apoprotéine E module le métabolisme des lipoprotéines contenant l’Apo B. le phénotype homozygote E2/E2 (fréquence absolue 32%) prédispose à l’hypertriglycéridémie qui, elle-même, prédispose à la macro angiopathie extra-thoracique (accidents cérébro-vasculaires, gangrène) surtout dans un contexte d’HTA.
2) adiposité viscéro-abdominale. L’accumulation de graisse au niveau viscéroabdominal va ensemble avec une présence importante des « LDL Small dense » qui sont plus réceptifs à l’oxydation, donc plus athérogène. Cet état conduit à l’hypertriglycéridémie.
3) Age (52+2ans Vs 49+3ans). L’âge avancé prédispose à l’athérosclérose.
L’hyperproduction des radicaux libres est prouvée dans le processus inéluctable du vieillissement : l’athérosclérose. On sait que les plaques d’athérome sont remplies de peroxydes lipidiques. L’agression endothéliale par les radicaux libres est à la base de son vieillissement plus précoce chez les diabétiques.
4) sexe masculin. Le présence prédominante des androgènes dans ce sexe couplée à l’exposition plus importante au facteur stress et les moindres concentrations en oestrogènes font que le sexe masculin est plus enclin à développer l’athérosclérose.
5) Insulino-résistance. L’insulino-résistance conduit à l’hyperglycémie. L’autooxydation du glucose produit des radicaux libres qui engendrent des lésions endothéliales. La glycosylation enzymatique et non enzymatique (glycation) des protéines donnent naissance à des lipoprotéines modifiées qui infiltrent l’endothélium vasculaire. La libération des facteurs de croissance dans le foyer inflammatoire couplée au dépôt des protéines glycosylées contribuent à l’épaississement des membranes. Le réveil des oncogènes à la fois par le « tumor necrosis factor alpha », (TNF alpha) les radicaux libres, la protéine activatrice des mitoses (MAP) et d’autres facteurs de croissance contribuent également à la prolifération des cellules musculaires lisses et fibroblastes ;
6) Hyperinsulinisme. La migration des cellules musculaires lisses est favorisée par l’insuline à forte concentration. L’effet athérogène de l’hyperinsulinisme est favorisé par son action mutagène sur les cellules musculaires lisses. Cette action ferait intervenir le récepteur insulinique (stimulation de la production de la MAP ou de la production locale de l’insulin like growth factor I » (IGF I). il y aurait une synergie entre IGF I et le TNF alpha. Il en résulterait une hyperplasie musculaire lisse des vaisseaux et une augmentation de la résistance vasculaire périphérique avec augmentation de la sensibilité aux effets de l’angiotensine II. L’augmentation de la réabsorption tubulaire rénale au sodium (Na+) produit aussi une augmentation de la résistance vasculaire donc HTA.
7) HTA les forces de cisaillement produites par HTA endommagent l’endothélium vasculaire. La souffrance des artérioles afférentes des glomérules rénaux donne lieu à une micro albuminurie ou une protéinurie franche : reflet de la néphropathie.
8) Néphropathie. La perte de la sélectivité du titre rénal consécutive à la glycosylation des protéines glomérulaires et à la diminution de la synthèse endothéliale de la PGI2 font qu’il y a une perte urinaire à la fois des HDL lipoprotéines et des Apo A1 et E. la stimulation réflexe de la synthèse protéique au niveau du foie, explique en partie l’augmentation de la Lp (a) chez ces patients ;
9) Hyperglycémie. L’état d’hyperglycémie chronique stimule, à la fois, la voie des polyols et de myoinositol (formation de sorbitol et de fructose), la glycosylation enzymatique des protéines (formation de protéoglycans) et la glycation (formation de cétonamines). Il s’en suit des phénomènes d’épaississement des membranes endothéliales. En outre la formation des produits finaux de la glycation (AGE) produit un effet délétère sur la paroi artérielle. L’hyperviscosité déterminée par l’hyperglycémie chronique provoque un ralentissement rhéologique au niveau vasculaire responsable de la lésion endothéliale (stase).
10) Durée du diabète. L’exposition prolongée aux effets de l’hyperglycémie et de l’hyperinsulinisme exacerbe les lésions endothéliales par l’action combinée de l’hyperviscosité, des radicaux libres formés par l’auto-oxydation du glucose et de la stimulation de la voie des polyols. Les lipoprotéines modifiées par l’oxydation et la glycosylation infiltrent alors l’endothélium vasculaire déterminant les plaques d’athérome.
B) Facteurs exogènes
1) Facteurs alimentaires
1° régime hypocalorique. L’alimentation hypocalorique, au sein de nos communautés, sélectionne le gène d’épargne énergétique. Le passage à un mode de vie urbain (consommation des sucres raffinés, diminution de la
consommation des fibres, diminution de l’activité physique) conduit à l’expression clinique de ce profil du « quarté de la mort » ;
2° cholestérol. Les sociétés n’ayant pas encore connu la transition alimentaire présentent un taux de cholestérol plasmatique normal. Ce que nous remarquons dans ce travail. Ce taux normal n’empêche pourtant pas la formation des lésions de macro angiopathie vu la peroxydation lipidique qui se produit chez le diabétique. Il est sans doute souhaitable de diminuer encore ce taux plasmatique de cholestérol, mais un bon équilibre du diabète réduirait sans doute la macro angiopathie en arrêtant la peroxydation. Notre alimentation privilégiant la consommation des huiles végétales est donc à encourager, dans la lutte contre la macro angiopathie.
3° Graisses mono insaturées : les graisses mono-insaturées (contenant une double liaison dans la chaîne carbonée) (acide stéarique, acide oléique…), outre qu’elles sont pauvres en cholestérol, sont des bons pièges des radicaux libres
responsables de la peroxydation. Notre alimentation privilégiant la consommation des huiles végétales est donc à encourager, dans la lutte contre la macro angiopathie.
4° Graisses mono insaturées : les graisses mono-insaturées (contenant une double liaison dans la chaîne carbonée : acide linoléique, acide linolénique, acide arachidonique). Comme les graisses mono insaturées, elles sont pauvres
en cholestérol et servent également de pièges aux radicaux libres. D’une manière générale les huiles végétales sont riches en ces graisses et sont à privilégier chez les diabétiques
5° Protéines. Une alimentation riche en protéine est spécialement déconseillée au diabétique car elle favorise l’apparition de la protéinurie, reflet de la néphropathie diabétique. Les protéines représentent 17% de l’apport calorique
des patients diabétiques de cette étude (soit 259 Kcal ou 65 g (0,9 g/kg)). Vu la tendance à la néphropathie, il est conseillé de réduire encore l’apport protéique à 0,7 – 0,8 g/kg (45 à 54g).
6° fibres alimentaires (8g/j). les fibres alimentaires jouent un rôle essentiel dans le ralentissement de l’absorption intestinale à la fois des lipides, des protéines et des glucides. Il faut une consommation de 15 – 20g des fibres par jour pour
espérer cet effet ralentissant intestinal. Pour les glucides, il faut 20 – 35g/j. une supplémentation en fibres alimentaires est donc indispensable chez nos malades diabétiques. Les sources les plus importantes sont les fruits frais, les végétaux et les légumes. La recette locale faite de poudre d’hibiscus esculentus (dongo – dongo) et de gnetum africanum (mfumbwa) trouve ici toute sa signification.
7° Vitamines A,C,E (anti-oxydantes). Les vitamines A et E sont connues pour leur pouvoir anti-oxydant. Ce travail a montré que les taux sanguins normaux des vitamines A et E (et même C : vu les apports alimentaires normaux) n’ont pas empêché la formation des lésions de macroangiopathie chez les patients du groupe A. une supplémentation vitaminique s’avère donc indispensable Les sources les plus importantes pour ces trois vitamines sont :
– Pour la vitamine A : l’huile de foie de morue, le frein, les viscères des poissons de mer, le lait, la crème, le jaune d’oeuf, le beurre, la carotte, les épinards, les légumes verts, les abricots, l’huile de palme, le foie et le rein
des animaux.
– Pour la vitamine C : tous les légumes et les fruits frais (orange, citron, pamplemousse), pomme de terre, lait, jus de tomate
– Pour la vitamine E : les huiles végétales (palmiste, arachide, olive, livio, simba, paradiso, diamant)
2) Facteurs médicamenteux
1° Hyperinsulinisme iatrogène. Le traitement du diabète sucré (surtout le diabète de type 2) par des fortes doses d’insuline conduit à l’hyperinsulinisme et à l’insulino-résistance ; facteurs précédemment décrits comme étant à la base des phénomènes de prolifération des cellules musculaires lisses,
d’hyperglycémie, d’auto – oxydation du glucose, de glycosylation qui ; sont à la base des lésions de macro angiopathie. L’importance du diabète de type 2 dans notre étude (87% des patients) nous impose une certaine prudence dans l’utilisation de l’insuline.
Le modèle conceptuel de l’athérogénèse chez le diabétique congolais pourrait être schématisé comme suit